[archive] La toute petite histoire du punxrezo.. Du web 2.0 au Web soviétique.

Ce texte est extrait du livret de la compilation de soutien au Punxrezo, parue en 2012. Le PunxRezo a cessé de fonctionner en 2015, dans ce qu'il faut bien appeler l'indifférence générale (et sur un serveur agonisant). J'y narrais la création du machin et faisais l'apologie d'un "web soviétique" dont le Punxrezo aurait été un des soviets. Afin d'éviter toute méprise, sachez qu'un Soviet est l'équivalent d'une Assemblée Générale, il représente l'auto-organisation décentralisée face à la centralisation bureaucratique.  Mais j'explique tout cela ci-dessous...

 


 

http://pix.ladistroy.fr/upload/original/1614107599.png

 

 

La toute petite histoire du punxrezo..

           Du web 2.0 au Web soviétique.

 

Le punxrezo est un site web de type "réseau social" orienté vers la scène punk (d'où son nom, en fait) et personnalisé pour les groupes de musique. C'est surtout un lieu où les membres peuvent partager leur musique, montrer leurs dessins, photos, fanzines, sans agression publicitaire. Il a été fondé par un obscur groupuscule au nom fleuri de "la balayette connexion", dont fait partie l'auteur de ces lignes. Petit retour en arrière sur le pourquoi du comment...


The great "Web 2.0" swindle
Le "Web 2.0" repose sur une double arnaque, technique et sémantique, pour finir en hold-up planétaire. La définition exacte du web 2.0 n'existe pas ; l'inventeur du machin, Tim O'Reilly est revenu dessus à plusieurs reprises sans pour autant apporter de réponse définitive. De manière générale on nous vend la soupe comme étant une révolution technique -la programmation en Ajax- et pratique -le web serait devenu "participatif". C'est beau mais c'est totalement bidon ; l'Ajax n'est qu'une appellation générique pour désigner un ensemble de technologies déjà existantes, et Internet n'a pas attendu un hypothétique web 2.0 pour être participatif, les forums et les webzines ayant commencé à se répandre dès le début des années 2000 (avec la démocratisation des solutions à base PHP/Mysql comme phpbb, spip, phpnuke...).
Or le Web2.0 existe bel et bien, et il a réellement révolutionné Internet. A la façon d'un "grand bond en arrière" (pour reprendre l'expression de Serge Halimi). Le Web2.0 désigne le hold-up d'Internet au profit de quelques grosses plateformes, par la centralisation des données et la monétisation systématique de tout ce qui peut l'être. D'un point de vue technique, le Web 2.0 c'est du Minitel (il faut voir la conférence de Benjamin Bayart, "Internet libre ou Minitel 2.0?" [1]), c'est à dire que toutes les données sont centralisées sur quelques gros sites (Facebook, Youtube, Myspace). Internet se réduit désormais à une dizaine de monstruosités commerciales ; on ne dit plus "j 'ai un site" mais "j 'ai un myspace" ou "viens sur mon facebook". On parle de "suicide social" quand on quitte Facebook. En pratique, le Web 2.0, c'est la transformation intégrale de l'individu en marchandise. Basé sur un concept commercialement génial ; l'UGC, le User Generated Content (contenu généré par l'utilisateur). Autrement dit l'entreprise ne fait absolument rien ; c'est l'utilisateur qui fait tout, gratos. L'utilisateur fournit gracieusement ses données personnelles, qui sont revendues à prix d'or aux régies publicitaires, l'utilisateur fournit gracieusement le contenu du site, et enfin il fournit le temps de cerveau disponible de ses visiteurs par l'affichage imposé de bannières publicitaires. Et comme pour entrer en communication avec un utilisateur, il faut s'inscrire, et bien l'utilisateur fournit aussi des
nouveaux membres. C'est le jackpot à tous les étages. La société (Facebook, Myspace..) ne fait rien, ne produit rien, mais monétise tout ce qui ne lui appartient pas ; le contenu, les données personnelles, le lien social. Pour vendre son concept, elle l'emballe dans une terminologie humaniste à base de "participatif", de "réseau social" et de "gratuité" (où avez vu du gratuit la dedans ?[2]), et ça roule tout seul. Bingo. Facebook c'est une valeur boursière de 100 milliards
de dollars... et tout ça sans produire aucun contenu.

Le cas Myspace(c) ..
MS est l'entreprise du Web 2.0 sur laquelle nous avons dès le départ focalisé notre attention pour la simple et bonne raison qu'elle a entièrement gangrené le milieu musical et associatif. MS, au même titre que Darty ou Carrefour, est une entreprise ; chaque fois qu'on la cite, on provoque un impact publicitaire. Que tel groupe ou telle asso soit sur tel site de rencontre, cela les regarde, mais quand cette page devient leur unique point d'accès au web, c'est gênant. Un peu comme si pour rencontrer quelqu'un vous imposiez qu'on vous retrouve à Macdo ou au rayon Hi-fi de la Fnac. Non seulement vous l'imposez, mais en plus vous le faites savoir partout ; sur les flyers, les affiches, les livrets de CD, les inserts de disques, etc. "Asso Super Rebelle / Rayon boucherie Auchan Velizy". C'est agaçant. Comme si, parce qu'elle concerne internet, la publicité devenait magique et n'avait plus aucune conséquence.
C'est donc effectivement en grande partie afin d'essayer de débarrasser la scène "punk" (au sens large) de ces scories publicitaires (pour un site de rencontre qui, rappelons-le, appartenait à Rupert Murdoch, éminent propagandiste d'extrême droite et ultra belliciste patron de Fox News) que nous avons tenté de mettre en place une alternative. Le but n'étant pas de concurrencer MS, mais de permettre aux groupes, fanzines, asso, de se créer un espace sur Internet où leurs visiteurs ne seraient pas obligés de donner leur temps de cerveau disponible à Coca cola (selon l'expression désormais consacrée). C'est pénible de devoir se farcir des bannières de pub pour découvrir un groupe "anarcho punk anti capitaliste". Que les gens manquent de cohérence, cela ne regarde qu'eux, mais qu'ils imposent de la publicité à leur visiteur, c'est disposer de leur attention à leur insu. Pour regarder TF1 on paye Bouygues en regardant de la publicité. Je ne vois pas pourquoi je paierai Rupert Murdoch pour écouter des groupes punks (ou toute autre musique d'ailleurs). Ca n'a pas de sens.

Et le punxrezo dans tout ça ?

Le Punxrezo est né quand nous avons eu en main la solution technique. Aucun de nous n'ayant la connaissance suffisante pour construire un site de A à Z, tout était resté plus ou moins à l'état de cahier des charges [3]. Quand j'ai découvert le projet "Elgg" [4], j'ai de suite vu qu'il était ouvert non seulement par le code (open source) mais aussi dans l'esprit avec ses multiples flux RSS[5]. Enfin nous avions un logiciel de réseau social permettant d'interagir avec les autres types de sites, pourvu que ceux-ci gèrent aussi les flux RSS. A partir de là nous avons commencé à personnaliser l'environnement ; ajout d'un lecteur musical et d'un lecteur vidéo, d'un agenda de concert partagé, d'un système de publication d'actualités (appelé "telex"), etc. En bref nous avons équipé le punxrezo du minimum syndical afin qu'un groupe puisse présenter son actu, ses concerts, sa musique. Il faut préciser que cette solution ne correspond pas au cahier des charges initial. Au départ nous voulions une solution totalement décentralisée ; un petit logiciel facilement installable par tout le monde, sur n'importe quel hébergement, et pouvant se connecter de manière naturelle avec tous ceux qui auraient installé le même logiciel, créant ainsi, au gré des connexions, un réseau entièrement décentralisé. Mais il faut se rendre à l'évidence, c'est en pratique totalement illusoire.
En une dizaine d'années, les utilisateurs ont massivement désappris Internet, et envoyer un script sur un hébergement web représente désormais une tache trop complexe pour le communs des internautes[6] . Viser la décentralisation totale est donc une utopie, mais doit rester malgré tout un objectif à atteindre. Comme il est en pratique impossible aujourd'hui, nous considérons que le punxrezo n'est qu'une étape dans le retour à un internet décentralisé [7].

Le pouvoirs aux soviets, pas à Facebook..

Notre objectif n'est donc pas de grossir indéfiniment, au contraire. Un punxrezo avec cinq mille membres serait totalement incohérent. Tout cela prendra véritablement un sens lorsque d'autres "punxrezos" verront le jour (réseaux locaux, réseaux thématiques, etc) et que nous trouveront le moyen de nous fédérer et d'évoluer ensemble. Ce que nous ne pouvons faire pour l'instant au niveau de l'individu nous devons le faire au niveau du groupe, c'est-à-dire du réseau social.
Pour contrer ces immenses plateformes commerciales centralisées, nous devons élaborer un web à base de réseau sociaux de petites tailles et fédérés entre eux. Vous excuserez ma vision un poil romantique et certainement simpliste de l'histoire, mais je ne peux m'empêcher de penser aux marins de Cronstadt qui, en 1 921 dans la Russie bolchevique, luttaient contre le pouvoir d'un parti unique et centralisé pour le donner aux soviets[8] . Alors plutôt que de parier sur un "web 3.0" dont les bases ultra techniques (web sémantique, cloud computing, et autre charabia d'expert) vont éloigner encore plus l'internaute d'Internet, je préfère miser sur l'avènement d'un "web soviétique", composé de réseaux sociaux autogérés et fédérés entre eux.
Le terme est évidemment choisi à dessein ; historiquement parlant les soviets incarnent l'auto-organisation du peuple en lutte contre un pouvoir centralisateur (et bureaucratique)[9].
C'est clairement afin de poursuivre cet objectif que la version "Cronstadt" du punxrezo a vu le jour au cours de l'année 2011 . Hormis quelques évolutions et mises à jour techniques, le réseau s'est doté d'une structure autogérée ; comité d'autogestion, comités techniques, comité de rédaction (pour gérer la page d'accueil du site, la newsletter ainsi que "Vive l'(a)social", le propagandzine du pxrz). Il ne reste plus qu'à créer une fédération. Parce que se fédérer tout seul, techniquement c'est pas très difficile, mais d'un point de vue utile, c'est très limité.
L'étape suivante c'est donc la créations en masse de cyber-soviets, de punxrezo-like, qui se fédèreront joyeusement en dehors de la sphère centralisatrice et publicitaire du "web 2.0" qui a transformé l'Internet du DIY en un immense hypermarché dans lequel l'être humain changé en marchandise "like" des trucs, poste des comz, et "+1 " des vidéos de chatons. ou de clebs. ou de saucisses.
Qu'il pousse des réseaux sociaux comme des communes dématérialisées, qu'ils se fédèrent et que tout ce beau monde déserte les multinationales centralisées.
Il ne restera plus ensuite qu'à passer du réseau social à l'outil de production réel. Et le vieux
monde pourra s'écrouler.

abFab

[1 ] http: //www.fdn.fr/internet-libre-ou-minitel-2.html
[2] "l’utilisateur accepte en fait de céder gratuitement cette information (ses données personnelles, nda) à la plateforme, qui pourra, elle, la vendre aux annonceurs. Dans cette perspective, l’accès aux services de la plateforme est bel et bien payant dans la mesure où l’utilisateur cède gratuitement une information qu’ il aurait pu vendre." (No free lunch sur le Web 2.0! Ce que cache la gratuité apparente des réseaux sociaux numériques, in Regards Economiques, numéro 59)
[3] Un "dawaspace" basé sur Spip, a bien été tenté, mais il n'était pas suffisamment ergonomique le grand public.
[4] http: //elgg.org
[5] Les flux RSS sont à la base de la syndication, ils permettent d'afficher les nouveautés d'un site sur un autre.
[6] A cette époque le web pullulait de sites personnels entièrement faits main avec une poignée de code html, sur lesquels les internautes racontaient leur vies et montraient des photos de chatons (les blogs n'ont rien inventé). Aujourd'hui l'immense majorité des internautes pense qu'il faut être ingénieur pour faire un site.
[7] Il ne faut pas oublier qu'à l'origine Internet n'est qu'une connexion d'ordinateurs, c'est son état naturel que d'être totalement décentralisé.
[8] Le mot d'ordre du soviet de Cronstadt était : "le pouvoir aux soviets pas aux partis". Lire :
http: //fra.anarchopedia.org/Cronstadt
[9] Dans l'ère post-tsariste de février 1 91 7, c'est le foutoir en Russie et le peuple s'auto-organise en conseils (soviets). "[...] la Russie devenait incontinent une République des soviets, de comités, que les forces centralisatrices, gouvernement, partis politiques ou syndicats, allaient essayer de contrôler, de reprendre en mains. Une épreuve commence en Février et ne s'achève que bien après octobre." (Marc, Ferro, "Des soviets au communisme bureaucratique").

 

 

 

Haut de page